Bernard Gilbert nous offre une captivante, mais troublante vision du déclin de l’espèce humaine dans son plus récent roman

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« Ne pas voir le mal, ne pas entendre le mal, ne pas dire le mal »

Plus tôt ce printemps, l’auteur de Québec quittait ses fonctions au Diamant, peu après le lancement de son dernier roman Les singes bariolés ou le déclin de l’espèce humaine. J’ai eu la chance de lire ce roman cet automne et j’en ai été profondément marqué. Les premières lignes de ce roman ont été écrites dans les années ’90. En 2013, le projet est relancé. Aujourd’hui, nous pouvons apprécier ce roman de plus de 400 pages, s’échelonnant sur un millénaire d’histoires, de fables et de barioles.

Les singes bariolés : un résumé

Un jour de l’an 2000, John Wildon se retrouve sur une petite ile de l’océan Indien. Le biologiste entre alors en communication avec un curieux primate qui pénètre dans la conscience humaine. Au cours du millénaire suivant, cette histoire deviendra la source d’un culte : le culte des singes bariolés. Plusieurs personnages, au fil des siècles, perpétuent ce message; un musicien africain, une philosophie québécoise, un militaire révolté, une femme sans âge, puis un jeune messager. Le message est clair, et pourtant si difficile à accepter : mettre fin à la domination humaine sur Terre.

Les singes bariolés : un constat

Quand j’ai débuté ma lecture du roman, j’ai d’abord été frappé par le style d’écriture. Je n’étais pas nécessairement conscient, alors, que je m’embarquais dans une lecture « lourde », réflexive et percutante. Chaque matin, je prends l’autobus pour me rendre au travail. À tous les jours, je suis en mesure de constater que l’individualisme a pris le dessus sur le collectivisme. Chaque matin, je vois des centaines de voitures s’entasser sur les différentes artères de Québec. Puis un matin, aux alentours du troisième chapitre, je suis finalement absorbé par ma lecture. Pourquoi?

Parce que l’histoire se déplace dans notre belle ville, désormais prise sous l’eau. Car oui, plus le récit avance, plus les avertissements scientifiques et écologiques actuels se produisent. Les eaux montent, l’eau douce est devenue une denrée rare, la chaleur rend l’agriculture difficile; Yellowstone a même explosé! (Pour ceux qui ne le savaient pas, un supervolcan de 45km par 80 km se cache sous le parc national Yellowstone aux États-Unis.) L’histoire se poursuit à Québec, puis voyage à nouveau. À cause des guerres pour les ressources, le visage démographique de la Terre est complètement changé. Les gouvernements tombent, les technologies progressent et un faussé se creuse entre les classes sociales.

Sauf que…

Les singes bariolés : une réflexion lucide

Sauf que Wildon, le biologiste anglo-saxon, a eu la bonne idée d’écrire sa rencontre avec les singes bariolés dans ses carnets de recherche. Résultat : un appel à l’harmonie et au collectivisme et un appel conscient à la disparition de l’espèce humaine.

Ce qui en résulte en, dans toute sa noirceur, magnifique. Plus les siècles avancent et plus la population humaine diminue. À la fin du roman, ils ne restent pas un demi-millard d’êtres humains sur Terre. Le solaire a pris la place de toute autre forme d’énergie. Le continent africain est presque entièrement recouvert de sable. Toute l’hémisphère Nord est inhabitable depuis l’explosion de Yellowstone et des centrales nucléaires américaines. Bref, « ça ne va pas bien pantoute »! Malgré tout, le mouvement des singes bariolés prend de l’ampleur. Les gens grandissent avec le lucide et effrayant constat que la mort les guette. L’esprit collectif se développe par la musique, par les mélanges d’histoires et par le sentiment d’urgence.

Dans cette dystopie, le réalisme n’est que trop frappant. À plusieurs moments dans ma lecture, j’ai eu froid dans le dos. Quelles traces laissons-nous aux générations à venir? Quel environnement leur laissons-nous? À force de dilapider notre planète, où se situe notre humilité, notre humanité? Ce roman introduit un calendrier qui se base, plutôt que sur un seul être humain, sur la fin de la dernière grande glaciation où, alors, l’être humain est présent sur tous les continents. C’est également vers cette époque que l’être humain comprend qu’il peut dominer la Terre.

Enfin, le peut-il vraiment?