Par Héléna Bouzi
Les micros-agressions

Avec les récents événements qui ont propulsés le mouvement Black Lives Matter à l’avant-plan médiatique, plusieurs personnes de mon entourage me demandent si j’ai vécu du racisme au Québec ou ailleurs. Mon réflexe est à priori de répondre par la négative: on ne m’a jamais refusé l’accès à un bar/restaurant/magasin, ma carrière n’a pas été affectée (je crois!) par ma couleur de peau, et je n’ai jamais ressentit les effets du profilage racial que beaucoup dans la communauté noire ont vécu.

Par contre, lorsque je m’y attarde un peu plus, je remarque que j’ai vécu beaucoup de micro-agressions. Qu’est-ce que les micro-agressions? Ce sont des comportements ou des propos, d’apparence banale, envers une communauté et qui sont perçus comme péjoratifs ou insultants de la part de celle-ci (et ce, peu importe l’intention derrière le commentaire!).
 Au Québec, je vis deux types micro-agressions plus fréquemment. La première, c’est que je ne représente pas le stéréotype de la communauté noire. Combien de fois m’a-t’on dit « Oui, mais toi t’es pas une vraie noire ». Mais qu’est-ce qui fait de moi « pas une vraie noire »? Les raisons que j’ai entendues sont aussi variées que déprimantes, voire tristes: mon accent trop québécois/pas exotique, mon passage par l’école privée, mes études universitaires, mes valeurs et goûts trop proche de la norme québécoise. Pourtant, je suis né à Québec et mes amis étaient, en grandissant, pratiquement tous québécois. Ça ne devrait pas être surprenant donc que mon accent et mes valeurs s’imprègnent de l’environnement dans lequel j’ai grandi. J’ai connu la culture haïtienne au travers de mes parents. Je comprends le créole et le parle un peu, j’ai grandit entourée d’oeuvre d’artistes haïtiens qui tapissaient les murs de ma maison, j’adore danser sur du compas, et le griot, le poulet, et le riz collé font parti de mon menu régulier.

Je suis et je resterai toujours ces deux choses, une femme noire et une femme québécoise, et je trouve malheureux que selon certaines personnes, ces deux identités ne peuvent pas coexister. Il y a une grande pluralité dans le communauté noire du Québec, des femmes et des hommes avec différents parcours, backgrounds et expériences de vie, qui est trop souvent étouffée par les étiquettes et les stéréotypes.

La deuxième, c’est de vouloir préciser ma couleur de peau pour décrire quelque chose qui n’a rien a voir avec mon teint. Des choses comme « T’es une belle noire » ou, encore pire «T’es belle pour une noire » . Ce que j’en comprends, c’est que selon eux, les personnes noires n’ont pas telle ou telle caractéristique (dans ce cas ci, la beauté) et qu’il trouve surprenant de me trouver jolie. Bien que ce type de commentaire se veut souvent un compliment, c’est une manière très maladroite de le faire et qui met l’accent sur la différence.

Évidemment, les micro-agressions ne sont uniques au Québec. Lors de voyages au Nicaragua et en Espagne, on m’appelait souvent « Morena » (qui veut dire marron), que ce soit un étranger dans la rue ou bien un chauffeur d’autobus. Au Maroc, en France et en Italie, on m’appelait plutôt par des noms de personnalités noires comme Beyonce, Serena ou Michelle Obama! Souvent, c’était pour attirer mon attention, pour que je rentre dans leur boutique ou leur restaurant et ça me faisait plutôt sourire. Cependant, c’est en discutant avec mes amies caucasiennes québécoises que j’ai réalisé que j’étais la seule dans cette situation; mes amies blanches ne se faisaient jamais interpeller de cette manière. Pour elles, c’était plutôt «Miss» ou «Madame».

Bien sûr, la liste ne s’arrête pas là. J’ai vécu d’autres micro-agressions au fil des années, souvent sous forme de questions/commentaires innocents, mais qui me réduisent à ma différence:

« D’où viens-tu vraiment ?» (en insinuant avant le Québec)

«Je peux toucher tes cheveux? Tu n’avais pas les cheveux longs, c’est bizarre de porter des rallonges.»

«Un blanc ne sortira jamais avec une noire!»

«Tu es la noire la plus blanche que je connaisse.»

«Je ne vois pas de couleur quand je te regarde. »

En tant que mère

J’ai trois beaux garçons avec un père québécois caucasien. Ils ont les cheveux frisés, un joli nez écrasé et un magnifique teint basané. Dans quel monde vont-ils grandir? Seront-ils vu comme des menaces aux yeux des autres? J’espère de tout cœur que le présent mouvement va apporter un vent de changement dans la population et que mes enfants ne vivront pas de racisme. Par contre, il est tout de même primordial que je les expose à la culture haïtienne pour qu’ils connaissent cette partie d’eux et qu’ils en soient fier. Il est aussi essentiel de les éduquer en lisant, en écoutant et en explorant avec eux sur les différentes cultures. Une excellente manière de les ouvrir à la diversité est de voyager. Qu’ils apprennent qu’il existe d’autres manières de vivre que la nôtre, d’autres croyances, d’autres nourritures, d’autres langues, etc. Qu’ils apprennent à ne pas avoir peur de la différence, mais d’essayer de mieux la comprendre et de s’enrichir de celle-ci. Qu’ils apprennent que leur mélange culturel est beau et qu’ils ne doivent pas écouter les gens qui leur diront le contraire. Qu’ils doivent aimer ce qu’ils représentent.

Je vous encourage à vous éduquer sur l’histoire des noirs, à discuter avec vos amis pour connaître leur vécu, à manger des spécialités culinaires de différents pays et à voyager. Ouvrez vos horizons et vos manières de penser pour qu’on puisse évoluer dans un monde de respect et de tolérance face à l’autre.

Pour suivre Héléna : www.kidkodakenvoyage.com