Trop souvent, on se vante de nos accomplissements. C’est correct aussi, parce que ça fait du bien de sentir qu’on est bon. L’important c’est qu’on oublie pas nos défaites non plus parce que c’est grâce à elles si, souvent, on s’est rendus là où on voulait. Ou pas. Mais ça aussi c’est correct. D’aussi loin que je me souvienne, j’ai toujours voulu être comédienne. C’est mon rêve de petite fille qui a grandi dans mon cœur d’éternelle adolescente. On me l’avait dit que c’était un métier rempli de refus. Pis ça m’a jamais dérangé. De toute façon, c’est pas la seule sphère de ma vie ou l’inaccessible m’attire.

Ce soir, pendant un mardi de tempête plate, j’avais envie de confier trois fois où mon parcours a pas été aussi glorieux que je l’aurais voulu. De montrer que même à l’ère des réseaux sociaux où l’on choisit ce qu’on veut montrer, c’est possible avoir une vie imparfaite. J’avais envie de vous partager les fois où j’ai essayé de faire mon chemin, mais que je suis tombée en me relevant avec les genoux égratignés. Des embuches, y’en a eu plus que trois et il va y en avoir encore. Sur ma route d’auditions pour des films et téléséries par-ci par-là, trois m’ont le plus marqué.

J’étais pas prête à parler de viol et d’inceste. C’était trop tôt pour une fille qui portait encore des lulus. Je pratiquais mon texte du bout des lèvres devant ma famille de peur qu’ils croient mes mots. J’avais aussi peur que mes autres amies à lulus croient l’histoire qu’on m’avait prêtée. Ils étaient lourds ces mots-là sur mes jeunes épaules encore trop osseuses. Quand j’ai refusé le rôle, je me souviens avoir dit à ma mère que mes épaules avaient descendu. C’était ma première rencontre avec le sentiment de soulagement. Et celui de regret, les années d’après.

Une fois plus vieille, j’aurais voulu l’avoir mon rôle avec toi dans le film où mes cheveux partaient au vent sur une moto. Où je sautais dans la rivière en sous-vêtements. On aurait ri et on aurait repris la scène souvent. Ça me dérangeait pas que ton nom soit Frisson. J’ai jamais compris pourquoi, mais on s’en fout, dans le fond. Finalement, on m’a dit que j’étais trop grande. Trop grande pour qui? Toi ou Guillaume L-T l’acteur principal déjà tellement connu du milieu? Je sais pas et je saurai jamais. Ça m’a appris que ça prend pas toujours de grandes personnes pour faire de grandes carrières. Heureusement.

Y’a eu la fois aussi où j’ai fait 5 heures de route avec papa en une journée pour aller dire une phrase devant deux personnes influentes et une caméra. Ça lui dérangeait pas parce qu’il croyait en moi, pis depuis le début. J’ai même pas eu besoin d’insister. Je trouvais ça cool qu’on roule avec le toit ouvrant même s’il pleuvait et qu’on sortait nos mains par le plafond. J’ai eu mes règles pendant l’audition dans mes jeans pâles et, même si j’ai trouvé ça moins drôle, on riait dans la pharmacie pour aller chercher ce que j’avais visiblement oublié d’apporter. J’aimais ça aussi, le retour en voiture en rêvant que je serais peut-être celle qu’ils ont préféré sur les dix convoquées. Finalement, non.

Que je sois «trop grande» ou que j’aie l’air «trop vieille», ça me dérange pas. Ça veut pas dire que c’est pas ma place, c’est juste peut-être pas mon temps. Malgré les refus, je suis fière de moi. Je suis fière, parce que j’ai pas lâché et je me suis jamais fait de peine avec ça. Quand j’y repense, ça me fait sourire parce que je le trouve beau mon parcours imparfait.

J’aime ça me faire dire non dans le fond.

Ça me donne plus d’élan pour continuer mon chemin.