Le 12 mars 2025, KO Éditions a fait paraitre le roman graphique haut en couleurs de l’autrice Mélissa Perron. Il s’agit, pour l’auteure-illustratrice, d’une première immersion dans l’univers du roman graphique avec son récit intimiste intitulé Femme caméléon. Si j’ai pris du temps avant de pondre cette chronique, c’est que je souhaitais trouver les mots justes, précis et authentiques pour en parler. Et voilà que j’ai trouvé : un amalgame de pierres précieuses, tant pour l’autrice que le roman!

« Vous êtes une femme autiste. Je n’ai aucun doute là-dessus. » À 38 ans, lorsqu’elle entend ces mots prononcés par la psychologue, Mélissa Perron fond en larmes. Ce n’est pas seulement un diagnostic qui vient d’être posé, c’est un billet pour une nouvelle vie après des années d’errance médicale. Sa quête est enfin terminée.

Quand j’ai pu mettre la main sur ma copie physique du roman graphique de Femme caméléon, j’ai tout de suite su que j’avais entre les mains un bijou d’une rareté exceptionnelle. C’est pourquoi j’ai décidé d’attaquer ma chronique avec l’angle des pierres précieuses. Ces pierres, traditionnelles classées pour leur rareté, leur beauté et leur valeur historique, m’ont inspiré des parallèles qui ont vagabondé dans ma tête jusqu’à l’écriture de ces lignes. Mélissa Perron a changé le visage de l’autisme au féminin avec ce roman, voici pourquoi.

Alexandrite : adaptabilité et équilibre

L’alexandrite est l’une des rares pierres précieuses qui, comme le caméléon, change de couleurs et s’adapte. Avant son diagnostic de femme autiste, Mélissa Perron a fait l’usage de nombreux comportements compensatoires et caméléons afin de se fondre dans la masse d’une société neurotypique qui exigeait d’elle qu’elle s’adapte. Puis, à 38 ans, un diagnostic de condition du spectre de l’autisme (CSA) est venu mettre une étiquette sur sa façon de voir le monde, sur sa façon de vivre, sur sa façon d’avoir vécu. Une étiquette qui lui permettra, désormais, de savoir comme bien prendre soin d’elle; c’est-à-dire à cycle délicat.

C’est alors qu’un nouvel équilibre s’est placé, sous une nouvelle lumière, sous une nouvelle couleur de l’alexandrite caméléon. En suivant son intuition et en mettant de l’avant sa créativité, Mélissa Perron a su mettre en lumière son talent d’autrice et d’illustratrice. Elle publie dès lors quatre romans à succès aux éditions Hurtubise, avant de publier Femme caméléon chez KO Éditions. Son talent à l’illustration a également été repéré par la Fondation Véro&Louis qui, en 2025, a confié à Mélissa le mandat d’illustrer le chandail de la campagne Différent comme toi.

C’est en 2018, grâce au t-shirt Différent comme toi, que j’ai fait ma rencontre à l’âge de 38 ans. En me procurant ce chandail, je ne me doutais pas que ma vie allait changer de façon aussi exceptionnelle. Parcourir le site de la Fondation m’avait emmenée à me demander quels étaient les critères de la femme autiste et lorsque j’ai fait la connaissance de cette liste, chacun des mots résonnait en moi. Quelques mois plus tard, j’avais enfin mon diagnostic : j’étais bien une femme autiste.
– Mélissa Perron

Émeraude : fidélité et sagesse

Tout comme la plupart des caméléons à l’état naturel, l’émeraude est une pierre précieuse généralement verte. De par sa couleur printanière, elle inspire la sagesse et la fidélité. Il est d’ailleurs sage de faire une courte parenthèse sur les premiers romans de l’autrice par lesquels elle démystifiait déjà la dépression et l’autisme au féminin, mais également l’expérience de mort imminente. Avec le temps, l’autrice a grandement cheminé dans son écriture afin de nous offrir, cette fois, un roman graphique autobiographique. Pour Mélissa Perron, si le diagnostic à 38 ans est une deuxième naissance, la publication de Femme caméléon est une troisième naissance; cette fois bien plus sage et expérimentée qu’à 38 ans.

La ligne est mince entre la bande dessinée et le roman graphique. En tant qu’enseignant, il m’est parfois difficile d’expliquer la différence à des élèves. Peu d’exemples me satisfont. Il y a évidemment les adaptations graphiques de romans, puis les bandes dessinées avec beaucoup de textes, mais qu’en est-il d’un véritable roman graphique? Dans ma poche arrière, je gardais toujours Rose à l’Île de Michel Rabagliati, un parfait équilibre, fidèle et volontaire, entre illustrations et textes. Désormais, Femme caméléon vient s’ajouter à la liste des romans graphiques fidèles, tel l’émeraude, à l’appellation. Qui plus est celui-ci, tout comme le premier exemple, est autobiographique.

Rubis : passion et courage

Rouge, c’est la couleur de la passion, du courage; c’est la couleur intense de l’éclatant rubis. De la passion et du courage, Mélissa Perron en a fait preuve pour mettre sur papier une œuvre aussi forte que Femme caméléon. D’abord, parce qu’elle a replongé dans sa propre histoire; une histoire qui n’est pas toujours rose ni de gomme balloune. Ensuite, parce qu’elle a osé dire à son éditrice « Si on fait un roman graphique, je veux l’illustrer. Je veux que ce soit MON histoire, MES illustrations. » Finalement, parce qu’elle a ouvert son cœur à tous, lecteurs, auditeurs, téléspectateurs (je voulais écrire tout le Québec, mais j’ai envie de croire que ce serait publié ailleurs!). Mélissa Perron, depuis la sortie du roman, a fait des entrevues à la télévision, dans les radios, dans les journaux, en plus d’avoir fait la narration pour le livre audio (disponible sur narra.audio ICI). Et vous savez-quoi? Au moment décrire ces lignes, le livre est SOLD OUT, mais en réimpression, ne vous inquiétez pas!

Pour savoir où on l’a, il faut savoir d’où l’on vient. Alors attachez vos tuques, parce que le chemin emprunté par l’autrice est loin d’un long fleuve tranquille. Mélissa Perron a eu le courage, la force et la passion de retourner dans son passé pour brasser la société et mettre en lumière l’autisme au féminin. Vous, aurez-vous le courage de lire son récit et d’épauler le continuum de la neurodivergence?

Diamant : force et résilience

Le 28 septembre 2023, ici même sur LA CLIQC, j’écrivais ceci :

Mélissa Perron est un diamant brut! Tout ce qui sort de sa tête, des mots aux dessins, se transforme en réussite et en victoire. […] L’auteure nous prouve que la littérature n’a pas de limite, qu’on peut tout y créer, tout y imaginer, qu’on peut parler de tout.

Avec Femme caméléon, elle démontre mes propos et vous prouve que j’avais raison (édito: pis j’suis fier!). Scientifiquement, un diamant est fait de carbone, comme le graphite d’un crayon – outil principal d’une auteure-illustratrice. Le diamant se forme profondément dans la Terre sous des conditions extrêmes de chaleur et de pression. Les atomes de carbone se lient alors très fortement entre eux dans une structure cristalline rigide, ce qui rend le diamant très dur. Sur l’échelle de Mohs, c’en fait le minéral ayant la plus grande dureté! Encore là, des éruptions volcaniques spectaculaires créent des conduits, appelés kimberlites, qui expédient, tels des ascenseurs magmatiques, les diamants des profondeurs de la Terre vers la surface où nous pouvons les trouver… et les admirer!

En lisant Femme caméléon, on constate que Mélissa Perron a eu une enfance « sous des conditions extrêmes ». Se sont alors forgés, dans son enfance, des talents dans « une structure cristalline rigide ». Comme il n’y a pas de hasard, que des opportunités spectaculaires et exceptionnelles, le diamant bien caché qu’est Mélissa Perron a fini par être exposé à la surface afin que nous puissions toutes et tous l’admirer.


Éditorial

En toute bienveillance d’enseignant caméléon…

Il faut toujours faire attention aux mots utilisés, surtout alors que nous concluons le mois de sensibilisation à l’autisme. Certains me donnent parfois envie de crier, d’hurler. Certains invalident ceux de l’autrice ou d’autres personnes vivant avec le CSA, invalidant leur vécu, en prétendant qu’il ne représente pas fidèlement ce qu’est l’autisme dans sa nature neurodéveloppementale. J’ai pour mon dire qu’il y a autant d’angles pour parler d’autisme au féminin qu’il y a de femmes autistes ou d’autisme au masculin qu’il y a d’hommes autiste: c’est à la base de la neurodivergence et de la condition du spectre de l’autisme.

Le roman Mélissa Perron, c’est un récit personnel où elle nous livre SON histoire. L’autrice nous présente son parcours de femme autiste, en mentionnant clairement son CSA sur la place publique, afin d’exposer SON vécu pour que les femmes se sentent à l’aise, à leur tour, de le faire.

Avec bienveillance, favorisons la discussion. Ouvrez le livre, ouvrez la discussion. Ne nourrissons pas la honte du diagnostic et favorisons les milieux où les comportements dits « caméléons » prendront fins.

Femme caméléon n’est pas un guide, ce n’est pas le DSM-V. C’est le récit personnel d’UNE femme autiste parmi des milliers de possibles sur le continuum. Comme l’a dit Mélissa Perron, l’obtention d’un diagnostic de CSA, c’est l’étiquette qui permet enfin de savoir comment bien prendre soin de SOI afin d’être la meilleure version de soi-même. Nous ne sommes pas tous des experts en pierres précieuses, mais nous pouvons tous nous présenter avec des gants blancs, prêts à prendre soin de l’autre.